Les gendarmes de la concurrence européen, britannique et américain surveillent ensemble sur le marché de l’IAClarote & AI4Media / Better Images of AI / Power/Profit / CC-BY 4.0

Les gendarmes de la concurrence européen, britannique et américain surveillent ensemble sur le marché de l’IA

Que le meilleur gagne

Les gendarmes de la concurrence européen, britannique et américain surveillent ensemble sur le marché de l’IAClarote & AI4Media / Better Images of AI / Power/Profit / CC-BY 4.0

Dans une lettre commune, les responsables de la concurrence de la Commission européenne, de l’autorité des marchés et de la concurrence britannique, de la Federal Trade Commission et du ministère de la Justice états-uniens dessinent des principes d’action partagés pour préserver la concurrence sur le marché de l’IA.

Les gendarmes européen, états-unien et britannique de la concurrence s’inquiètent des risques générés par le développement actuels de l’intelligence artificielle.

Dans une lettre commune publiée le 23 juillet, la commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestagher, la directrice générale de l’Autorité britannique des marchés des de la concurrence Sarah Cardell, le responsable de la concurrence au département de la Justice des États-Unis Jonathan Kanter et la directrice de la Federal Trade Commission (FTC) Lina Khan appellent à travailler à un environnement commercial « équitable, ouvert et compétitif » dans le domaine des modèles de fondation d’IA générative et des produits d’IA.

Les co-signataires décrivent l’intelligence artificielle comme un point d’inflexion technologique, c’est-à-dire un moment susceptible « d’introduire de nouvelles manières d’entrer en concurrence, catalysant des opportunités, de l’innovation et de la croissance ». Les autorités discernent cela dit une variété de risques pour une concurrence juste, contre lesquels elles affirment veiller. Parmi ces derniers :

  • la restriction d’éléments essentiels pour le développement des technologies d’IA ;
  • que les sociétés jouissant déjà d’une place privilégiée sur les marchés numériques préemptent ou étendent ce pouvoir sur le marché adjacent de l’intelligence artificielle « en tirant parti des effets de réseau et de rétroaction pour accroître les obstacles à l’entrée et nuire à la concurrence » ;
  • que l’absence de choix d’acheteurs, parmi les créateurs de contenus, aboutissent à une situation de monopsone ;
  • et que l’IA soit développée ou utilisée « de manière à nuire aux consommateurs, aux entrepreneurs, et à d’autres partis prenantes du marché ».

En conséquence, les autorités s’accordent sur trois principes essentiels pour assurer la concurrence : le traitement équitable, l’interopérabilité et le choix.

Des risques clairs pour la concurrence

Si les quatre autorités « reconnaissent le grand potentiel de bénéfices que les nouveaux services d’intelligence artificielle apportent au marché », elles déploient une vigilance particulière contre les différents comportements précités.

En pratique, les risques qu’elles observent en matière de restriction d’éléments essentiels au développement de l’IA concernent aussi bien les puces, la puissance de calcul, les données d’entraînement « à l’échelle » et l’accès à l’expertise technique. Ces quatre éléments, écrivent-elles, sont « des ingrédients critiques au développement de modèles de fondation », ce qui pourrait « placer un petit nombre d’entreprises dans la position d’exploiter les goulets d’étranglement existants ou émergents » pour développer une influence « démesurée » sur le développement de ces outils. Pour les autorités signataires, ceci « pourrait limiter le champ d’innovation disruptive », ou permettre aux entreprises en question de les tailler à leur mesure, au détriment « du public et de nos économies ».

Les « modèles de fondation » émergent par ailleurs à un moment où de larges entreprises numériques « profitent déjà de forts avantages cumulés » — un Google, un Meta ou un Microsoft, par exemple, disposent déjà de « pouvoirs de marchés substantiels à différents niveaux de la chaîne de l’IA ». Ceci pourrait conduire les acteurs les mieux implantés à « contrôler la chaine de distribution des systèmes d’IA ou des services reposant sur de l’IA ». De même, les autorités soulignent le risque qu’ils se servent de ces positions déjà avantageuses pour étendre encore leur empire.

Enfin, les gendarmes de la concurrence s’inquiètent de potentiels arrangements entre acteurs clés, via « des partenariats, des investissements financiers et d’autres connexions », qui pourraient « amplifier les risques ». « Dans certains cas, ces arrangements n’entacheraient pas la concurrence, écrivent-elles, mais dans d’autres, ces partenariats et investissements pourraient être utilisés par les grandes entreprises pour affaiblir ou coopter les menaces concurrentielles et orienter les résultats du marché en leur faveur », affirment-ils.

L’IA créatrice de nouveaux risques

Dans le détail, les quatre autorités soulignent aussi que l’intelligence artificielle pourrait participer à créer certains risques. Et de citer la possibilité que « les algorithmes aident des concurrents à partager des informations sensibles en termes de concurrence, à s’accorder sur des prix, ou à orchestrer des collusions susceptibles d’enfreindre les lois de la concurrence ».

Elles soulignent aussi les risques en matière de discrimination ou d’exclusion par les prix. Enfin, les quatre signataires soulignent que « l’IA peut accélérer les pratiques trompeuses et déloyales qui nuisent aux consommateurs ». Les autorités britanniques et états-uniennes, qui sont aussi chargées de protéger les consommateurs (dossier conduit par un autre département que celui en charge de la concurrence à la Commission européenne), indiquent qu’elles seront « vigilantes envers toute menace à la protection des consommateurs » qui pourraient être causées par l’usage d’intelligence artificielle.

Principes généraux de protection de la concurrence

Si les questions relatives à l’intelligence artificielle sont spécifiques, les cosignataires tirent de leur expérience dans d’autres marchés économiques trois principes communs qu’elles déclarent de nature à « permettre la concurrence et favoriser l’innovation ».

Elles encouragent spécifiquement les entreprises du secteur d'agir de manière équitable, c’est-à-dire sans opérer de « tactiques d’exclusion ». Elles leur demandent de privilégier l’interopérabilité entre les différents produits et services, et annoncent que « toute affirmation selon laquelle l’interopérabilité obligent à sacrifier la vie privée et la sécurité sera analysée de près ».

Enfin, elles soulignent que les entreprises comme les consommateurs « bénéficieront de la possibilité de choisir entre des produits et des entreprises en compétition ». De fait, elles prévoient d’examiner « la manière dont certaines entreprises utiliseraient de mécanismes de verrouillage » pour empêcher ces choix. Le même examen sera appliqué aux investissements et aux partenariats conclus entre acteurs anciens et récents.

Les pouvoirs légaux et les contextes juridictionnels des quatre entités diffèrent, rappellent-elles. Cela dit, les quatre autorités soulignent que la matérialisation des risques qu’elles identifient pour la concurrence ne se fera que dans un contexte international. C’est pourquoi elles déclarent travailler de concert à l’analyse des enjeux, et s’engagent à « utiliser [leurs] pouvoirs respectifs là où c’est approprié ».

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